Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, la littérature européenne renouvelle son inspiration et ses formes d'expression. Ce mouvement est désigné sous le nom de romantisme. Toutefois, l'éveil du mouvement romantique ne se produit pas dans tous les pays au même moment et sous une forme identique. L'Allemagne se distingue par sa précocité. Le romantisme y est considéré comme une manifestation du génie allemand, mais aussi comme une réaction contre l'ordre classique incarné par la France.
Dans cette Allemagne de la fin du XVIIIe siècle qui est encore loin de constituer une nation unifiée naît un besoin impérieux de fonder une identité nationale. Le critique et historien Johann Gottfried Herder (1744-1803) et l'écrivain Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) préconisent le retour à la poésie populaire allemande et proclament la nécessité de réagir contre l'influence française. Goethe, Herder et Schiller sont, dans les années 1780, les principales figures du mouvement d'essence romantique dénommé Sturm und Drang — «tempête et passion». Ils ont comme modèle Jean-Jacques Rousseau, se lancent dans la lutte contre l'omnipotence de la raison et exaltent la liberté de l'instinct et du sentiment.
Avec son roman épistolaire les Souffrances du jeune Werther (1774), Goethe diffuse cette sensibilité nouvelle à travers l'Europe entière. Installé à Weimar, il acquiert peu à peu une réputation de génie universel. Son romantisme initial s'assagit en même temps qu'il découvre la paix intérieure et le panthéisme. Les Année d'apprentissage de Wilhelm Meister (1795-1797), son roman de formation, et son Faust (1808-1832), poème dramatique qui dresse le bilan d'un monde, comptent parmi les grandes œuvres de sa maturité «classique».
À l'idéalisme intransigeant des premières pièces du poète et dramaturge Friedrich Schiller (1759-1805) comme les Brigands (1781), et à la rigueur abstraite de ses multiples essais esthétiques, philosophiques et moraux, succèdent, après sa rencontre avec Goethe, une œuvre plus contemplative, d'un lyrisme plus concret, comme le Chant de la cloche (1799) pour la poésie, Wallenstein (1798-1799) et Marie Stuart (1800) pour le théâtre. Schiller y exprime l'idée que l'effort individuel pour affirmer sa liberté constitue une méthode plus efficace pour changer le monde que toute action sociale ou politique.
Le romantisme allemand s'épanouit à la fin du XVIIIe siècle et culmine dans la première décennie du XIXe siècle. Il est l'apport le plus original du peuple allemand à la littérature universelle, mais aussi un moment essentiel de la sensibilité européenne. L'exigence absolue d'originalité et d'universalité, l'attention portée à la philologie allemande, l'aspiration à une vie et une pensée totales, l'exploration systématique du moi, le recours intensif à l'irrationnel et au fantastique, tels sont les thèmes qui le distinguent des autres romantismes. Le terme de romantique qualifie, pour les Allemands, le programme spirituel consistant à retrouver l'esprit des anciens peuples «romans» corrompu par le classicisme français. De nombreux poètes et romanciers redécouvrent le patrimoine culturel et folklorique oublié. Il en est ainsi des contes et des nouvelles de Clemens Brentano (1778- 1842), de Achim von Arnim (1781-1831) et de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822).
Cette intensité se retrouve dans les méditations poétiques sur l'art et la mort publiées par le théoricien du romantisme Novalis (1772-1801), dans la nostalgie rêveuse du romancier Jean Paul (1763-1825), dans les poésies élégiaques de Friedrich Hölderlin (1770-1843) et dans les drames patriotiques de Heinrich von Kleist (1777-1811). Un peu plus tard, Heinrich Heine (1797-1856), romantique «défroqué», renouvelle la poésie lyrique par une approche à la fois sensible et ironique, ainsi que le chant populaire par la profondeur de sa sensibilité.
Le romantisme allemand n'est pas seulement un mouvement littéraire mais aussi un authentique mode de vie, de penser et, surtout, de philosopher. Il se définit en effet par rapport aux développements d'une philosophie constamment présente. Les démarches de Emmanuel Kant (1724-1804), de Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) et de Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling (1775-1854) témoignent des convergences entre les domaines littéraires et philosophiques, qui portent la même attention à l'homme et à son rapport à la nature. Une telle nature trouve son unité au sein d'une «âme du monde» à laquelle l'homme participe par des moyens aussi bien scientifiques, spéculatifs que poétiques.
C'est en Angleterre que s'éveille le premier lyrisme romantique. Dès les années 1740, un premier élan poétique, marqué par la parution des Nuits d'Edward Young (1683-1765), annonce un formidable renouveau de la poésie européenne dont lord Byron est la figure de proue. Il s'agit là d'un mouvement de protestation contre le rationalisme, contre une société déshumanisée et des traditions serviles. Se sentant condamnés à vivre mal dans un présent insupportable, les romantiques inventent dans la littérature un ailleurs temporel ou spatial susceptible d'assouvir leurs désirs et de leur donner une consistance.
Nés pour vivre libres, ces poètes partent en quête, dans d'autres époques et d'autres décors, du lieu idéal où prendraient fin leur humiliation et leur aliénation. Cette protestation est un nouvel acte de foi humaniste : il s'agit de défendre les prétentions de l'individu et la primauté de la vie intérieure, dans un accord passionné avec la nature, où l'homme trouve son refuge. Elle seule rend à l'homme son vrai destin : la libération des forces positives de son esprit et de son imagination.
Les fantaisies de l'imagination attirent les auteurs vers le mythe, l'irrationnel, les ténèbres médiévales, les frissons de la peur. C'est le triomphe des Poèmes d'Ossian composés par James Mac-pherson (1736-1796) et faussement attribués au fils d'un barde écossais du siècle, non moins légendaire, Fingal.
C'est l'invention d'un nouveau genre littéraire, le roman terrifiant, dit «roman gothique», avec le Château d'Otrante d'Horace Walpole (1717-1797), les Mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe (1764-1823) et surtout le Moine de Matthew Gregory Lewis (1775-1818), le chef-d’œuvre du genre, qui enthousiasme Byron et ses amis mais qui est interdit par la censure. De cet engouement naît un autre récit fantastique : Frankenstein de Mary Shelley (1797-1851). Le succès des romans historiques de Walter Scott (1771-1832), tels Ivanhoé (1819) et Quentin Durward (1823), doit beaucoup à ce genre «noir».
Écossais comme Scott et utilisant sa langue régionale, Robert Burns (1759- 1796) est un «poète-paysan» célébré par l'aristocratie d'Édimbourg qui retient plus sa drôlerie humaine et son sens de la nature que son paganisme et son anarchisme.
Si le romantisme anglais est dominé par les poètes, le génie protéiforme d'un William Blake (1757-1827) déborde toutefois les limites de la simple littérature. La prépondérance du moi et des facultés imaginatives dans la poésie sont inséparables de considérations mystiques et panthéistes, et surtout d'une mélancolie et d'un désespoir sans fin qui la sous-tendent. Les accents nouveaux de la poésie de William Wordsworth (1771-1850) et de Samuel Coleridge (1772-1834) expriment, dans une langue familière, l'exceptionnel accord de leur sensibilité et de leur imagination. Chez lord Byron (1788-1824), le sentiment exacerbé du moi est tempéré par un esprit critique doué pour le pittoresque et la satire. Il partage avec Percy Bysshe Shelley (1792-1822) et John Keats (1795-1821) le sentiment de la fusion de l'homme avec la nature, le refus de la finitude humaine et la vision de la mort salvatrice. Renonçant à ses privilèges de lord, Byron mène une existence qui scandalise le conformisme de ses contemporains. Séjournant successivement en Suisse et en Italie, il n'hésite pas à prendre part à toutes les conspirations pour la liberté, avec les carbonari d'abord, puis les insurgés grecs, avec lesquels il trouve la mort et la gloire.
En France, le romantisme trouve ses racines dans l'œuvre de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Dès 1750, dans son Discours sur les arts et les sciences, Rousseau s'en était pris au rationalisme et au progrès des Lumières. Le retentissement fut considérable. Dans l'Émile (1762), Rousseau démontre les bienfaits de l'éducation «naturelle», dans laquelle l'enfant est protégé de l'influence nuisible de la société. Dans la Nouvelle Héloïse (1761), roman du bonheur imaginaire, de la vertu et de l'introspection, il présente une sensibilité nouvelle et une autre façon d'apprécier la nature.
François René de Chateaubriand (1768-1848) jette, dans le Génie du christianisme (1802), les principes spirituels du romantisme. Il affirme le thème de l'originalité fondamentale de l'individu qui s'accompagne de la conscience d'un trouble existentiel, le «mal du siècle». Ses romans Atala (1801) et René (1802) sont riches de mélancolie romantique.
Avec Alphonse de Lamartine (1790- 1869), puis Alfred de Vigny (1797-1863) et Alfred de Musset (1810-1857), la poésie retrouve une place prééminente ; elle se veut plus authentique et se fait l'écho des pensées intimes du poète. Cette poé-sie est dominée par la figure gigantesque de Victor Hugo (1802-1885). Nul n'a su comme lui manifester cette exigence d'universalité dans le domaine poétique, de la virtuosité au lyrisme, de la satire à l'élégie, de l'épopée à la forme visionnaire. Hautement singulier apparaît l'itinéraire poétique de Gérard de Nerval (1808-1855), oscillant entre rêve et réalité, aux limites de la folie (les Chimères, 1854 ; Aurélia, 1855).
Les œuvres des grands poètes «nationaux» des pays d'Europe, Adam Mickiewicz (1798-1855) en Pologne, Giacomo Leopardi (1798-1837) et Alessandro Manzoni (1785-1873) en Italie, et Alexandre Pouchkine (1799-1837) en Russie, vont bien au-delà des préoccupations caractéristiques du romantisme, même si celles-ci sont également présentes, par exemple dans les éléments folkloriques et la conscience ironique de soi utilisés par Mickiewicz, dans le sentiment de solitude, de timidité et de mélancolie de Leopardi, et dans les scènes de nature et les passions dévorantes de Pouchkine.
C'est la mort de Pouchkine dans un duel qui a fait rompre Mikhaïl Lermontov (1814-1841) avec la vie mondaine qu'il menait auparavant. Son poème la Mort du poète et ceux qui suivront lui vaudront de connaître l'exil et les geôles tsaristes, où il se liera aux poètes décembristes Odoievski et Bestoujev-Marlinski. Lermontov, comme Piotr Viasemski (1792-1878), présente plus clairement les caractères d'un romantique, aussi bien dans ses poèmes que dans son célèbre roman, Un héros de notre temps (1839-1840) : les Russes y découvrirent cette image de simplicité et de naturel qu'avant lui des générations de romantiques avaient recherchée, sous l'influence de Jean-Jacques Rousseau.