IN LIBRIS

LE ROMAN AU XIXe SIECLE.

Longtemps considéré comme un genre mineur, le roman occupe au XIXe siècle le devant de la scène littéraire. De l'époque romantique à celle des soirées de Médan, de Balzac à Zola, il connaît un succès croissant et durable. La variété et la richesse de cette production romanesque expliquent cet engouement. À travers différentes écoles, le roman s'affirme comme le genre littéraire réaliste par excellence.

La voie qui mène au réalisme est frayée dès l'époque romantique par Stendhal, Mérimée et Balzac. Ces trois écrivains ont, chacun à leur manière, tenté de démontrer qu'une oeuvre de fiction pouvait reproduire la réalité.

Stendhal et Prosper Mérimée

Cette illusion réaliste, Henri Beyle, dit Stendhal (1783-1842), et Prosper Mérimée (1803-1870) vont les premiers la cultiver. Ces deux dandys, familiers du cénacle de Victor-Hugo, partagent des positions littéraires et esthétiques qui les conduisent à se démarquer de leurs amis romantiques. Ils leur reprochent leurs excès lyriques, leur sensiblerie et leur engagement social trop marqué.
En réaction, Stendhal et Mérimée affichent dans leurs œuvres un certain détachement. De cette manière, ils s'efforcent de devenir objectifs. Cette objectivité a des limites. Les romans de Stendhal comme le Rouge et le Noir (1830) et la Chartreuse de Parme (1839) puisent une bonne partie de leur matière dans l'existence même du romancier. Stendhal s'y peint sous les traits de ses héros, Julien et Fabrice, auxquels il prête son tempérament, ses ambitions et ses regrets, pour en faire d'authentiques héros romantiques. De même, il attribue à ses héroïnes les traits des femmes qu'il a aimées ou désirées. Ici s'arrête le romantisme. Stendhal construit ses œuvres à partir de faits. L'histoire de Julien Sorel est empruntée à un fait divers judiciaire, celle de Fabrice del Dongo, à une chronique italienne de la Renaissance. Dans son art, il ne veut obéir qu'à une seule règle : être vrai.
Il en est de même pour Mérimée, avec qui Stendhal correspondra jusqu'à la fin de sa vie. Celui-ci n'a pas sa puissance créatrice, mais il excelle dans le genre mineur de la nouvelle. La perfection de la Vénus d'Ille (1837), de Colomba (1840) et de Carmen (1845) lui assure un succès immédiat et durable.

Honoré de Balzac

Honoré de Balzac (1799-1850) est une figure de proue du roman français. Natif de Tours, monté à Paris au début de la Restauration pour y achever des études de droit à la Sorbonne, sans fortune, il est obligé d'entrer comme clerc dans une étude de notaire. Comme les jeunes de sa génération, il aspire à de plus nobles ambitions et cherche très tôt à embrasser la carrière des lettres. Celui qui va devenir le démiurge de la littérature française connaît des années d'apprentissage difficiles. À la recherche d'une voie et d'un style, il subit toutes les modes des années 1820 et s'exerce à tous les genres : la tragédie néo-classique en vers, le roman noir à la manière de Walpole, le roman gai à la manière de Pigault-Lebrun, coqueluche littéraire de l'Empire, le roman médiéval à la Walter Scott, le conte de fée, l'intrigue sentimentale, le genre larmoyant, le récit d'aventure, chaque fois sous un pseudonyme différent, mais sans succès. En 1825, ce jeune auteur prolixe, découragé, se détourne du métier d'écrivain et se lance dans les affaires. Il y fait l'expérience amère des milieux d'argent. Acculé à la faillite au bout de trois ans, poursuivi par des créanciers, il se remet à écrire en désespoir de cause et remporte ses premiers succès avec un roman historique, les Chouans (1829); avec ce roman débute la Comédie Humaine dans laquelle sont compris les Scènes de la vie militaire.
Cette fois-ci, Balzac s'intègre à la vie littéraire, collabore à divers journaux et fréquente les salons à la mode. Ses dons d'observation vont vite tirer profit de ces expériences nouvelles. Après la publication d'ouvrages où il exprime ses conceptions philosophiques, sociales et scientifiques, comme la Recherche de l'absolu (1834), il compose ses premiers chefs-d’œuvre réalistes : le Colonnel Chabert (1831), Eugénie Grandet (1833) et le Père Goriot (1834). En écrivant ce roman, l'idée lui vient de faire réapparaître plusieurs personnages de ses œuvres antérieures. Cette innovation le conduit à concevoir une fresque romanesque qui donnerait l'illusion de la société. Soutenu dans la réalisation de ce projet grandiose par l'amour d'une dame polonaise, Mme Hanska, il en entreprend aussitôt la rédaction. Le Lys dans la vallée (1835), Illusions perdues (1837-1843), Ursule Mirouet (1841) en sont les nouveaux joyaux. En 1842, il trouve enfin le titre qui réunira les quatre-vingt dix romans qui constitueront cette peinture de la société française, de la Révolution à la monarchie de Juillet : la Comédie humaine. Ce travail de démiurge reste inachevé ; Balzac meurt d'épuisement.

Le roman populaire

Pour conquérir un large public, George Sand (1804-1876) dispose de trois atouts : une imagination fertile, une sensibilité romantique et une technique d'écriture bien assurée. Avec des romans sentimentaux, en partie autobiographiques comme Lélia (1833), où elle exalte le droit des femmes à la passion, des romans humanitaires comme le Meunier d'Angibault (1845) et des romans rustiques comme la Mare au diable (1846), composés dans sa retraite de Nohant, cette romancière rencontre une large audience.
D'autres écrivains, parmi lesquels Paul Féval, Frédéric Soulié, Eugène Sue, Alexandre Dumas, ont cherché plus systématiquement à faire des triomphes de librairie en composant des récits d'aventure, comme les Mémoires du diable (1837) de Frédéric Soulié (1800-1847), les Mystères de Paris (1842) d'Eugène Sue (1804-1857) ou le Bossu (1858) de Paul Henry Corentin Féval (1816-1887). Leur activité est étroitement liée au lancement de la presse à grand tirage en 1836 par Émile de Girardin qui ouvre ses bas de pages aux auteurs de feuilletons.
Le plus célèbre demeure Alexandre Dumas (1802-1870) qui, avec les Trois Mousquetaires (1844) et le Comte de Monte-Cristo (1844-45), fait montre d'une puissance d'invention et d'une verve inépuisables. Ces romanciers ont souvent sacrifié la qualité à l'abondance) et l'art à la facilité, mais ils ont atteint le but qu'ils s'étaient proposé. Cette littérature crée deux types de héros : le romantique, avant 1848, qui est toujours un asocial ou un révolté, et le bourgeois, après 1848, qui est un innocent triomphant du mal grâce à l'appui de l'ordre social existant.
Toutefois, le chef-d’œuvre de la littérature d'inspiration populaire reste les Misérables (1862), de Victor Hugo (1802-1885). Dans cette épopée pleine de compassion où Jean Valjean cherche désespérément le rachat de ses fautes, Hugo dénonce les conditions sociales misérables du prolétariat. Cette réussite pousse Hugo à écrire les Travailleurs de la mer (1866), L'homme qui rit (1869) et Quatre-Vingt-Treize (1874).

Gustave Flaubert

Après 1850, la diffusion des idées positivistes et le progrès des études scientifiques amènent une nouvelle génération de romanciers à s'interroger sur leur art. Gustave Flaubert (1821-1880) en fait partie. Son existence est presque sans histoire. Ses essais de jeunesse, influencés par Hoffmann, Byron et Goethe, révèlent un tempérament romantique passionné. Atteint en 1843 d'une maladie nerveuse, il vit en reclus dans sa propriété du Croisset, près de Rouen, où il se consacre jusqu'à sa mort à l'écriture. Ses principales œuvres, Madame Bovary (1857), Salammbô (1862), l'Éducation sentimentale (1869) et Bouvard et Pécuchet (1881) le désignent comme le maître incontesté du roman réaliste. Flaubert s'inspire des principes et de la méthode des sciences biologiques pour perfectionner ses propres techniques d'observation et promouvoir un art impersonnel qui ne devrait rien révéler au lecteur sur la vie intime du romancier.
Parmi les écrivains qui adhèrent à cette esthétique réaliste, sous le second Empire, se trouve l'étonnant couple formé par les frères Edmond (1822-1896) et Jules Goncourt (1830-1870), qui créeront dans leur testament l'Académie qui porte leur nom. Tous deux veulent peindre la vie avec réalisme et raconter le présent comme les historiens racontent le passé. Aussi transposent-ils toujours dans leurs romans, tels que Renée Mauperin (1864) ou la Fille Elisa (1877), des histoires vécues dont ils furent les témoins.

Émile Zola

En 1880 naît l'école naturaliste. Le romancier Émile Zola (1840-1902) en est le théoricien. Il s'agit pour lui, et pour ceux qui s'en réclament, de pousser à l'extrême les principes du réalisme qui exigent du romancier qu'il étudie la réalité sociale et les milieux populaires avec la précision des sciences expérimentales. En 1868, Zola a l'idée de réunir tous ses romans et de faire pour le Second Empire ce que Balzac a fait pour la Restauration et la monarchie de Juillet. Cette nouvelle somme romanesque, histoire naturelle et sociale d'une famille, se nomme les Rougon-Macquart.
Un de ses romans, l'Assommoir, triomphe en 1877. Il est alors reconnu comme le chef des naturalistes. Paul Alexis, Henri Céard, Joris-Karl Huysmans, Léon Hennique et Guy de Maupassant se réunissent chez Zola, rue Saint-Georges, puis dans sa maison de Médan, près de Paris. Le naturalisme est défini dans le Roman expérimental (1880). En 1885, un autre triomphe couronne le roman naturaliste, Germinal, roman noir des conditions de vie dans les houillères du Nord. Converti au socialisme, Zola consacre ses dernières années à des œuvres de propagande sociale et humanitaire.
Les romanciers naturalistes sont vite sortis du champ de la doctrine : Alphonse Daudet par sa poésie, Zola par son imagination, Maupassant par son humanité, Jules Vallès par sa révolte. Du groupe de Médan, Guy de Maupassant (1850-1893) est le plus brillant.
Humble employé de ministère, mais ami de Flaubert qui le conseille, il va s'élever au premier plan de l'actualité littéraire, avec Boule-de-Suif (1880), et Bel-Ami (1885). En dix ans de travail acharné, il élabore une œuvre remarquable qui lui assure le succès et la fortune. Il sombre malheureusement dans la folie.