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LITTERATURE DE LA RENAISSANCE

Cette rupture avec le passé médiéval transparaît symboliquement dans le métier d'acteur, qui passe du statut de dépendance à l'égard d'un seigneur à celui d'activité autonome. Tout en restant bien souvent sous la protection d'un noble, les acteurs de la fin du XVIe siècle deviennent progressivement indépendants et leur production artistique, selon les nouvelles lois économiques de l'époque, s'offre directement à un marché en pleine croissance. En outre, dès les années 1570, en Angleterre et en Italie principalement, les acteurs disposent de leurs propres théâtres, les premiers bâtis spécialement à leur intention depuis l'époque des Romains.

Le théâtre espagnol

En Europe, de manière générale, le théâtre restait jusqu'alors divisé entre les spectacles courtois raffinés et les divertissements populaires. Mais, en Espagne, le théâtre professionnel connaît un éclat exceptionnel avec le succès croissant des pièces réalistes et nationales de Lope de Vega (1562- 1635). Écrivain prolifique — il aurait écrit 1 500 comedias, ou œuvres théâtrales profanes, dont 500 nous sont parvenues —, Lope de Vega aborde tous les genres avec une égale aisance. Ses pièces, dont les thèmes empruntent aussi bien à la religion et à la mythologie qu'au patrimoine culturel national, ignorent la règle des unités sauf celle de l'unité d'action. Elles exerceront une profonde influence sur le théâtre français du XVIe siècle.
Pedro Calderén de la Barca (1600 - 1681), dernier auteur classique du théâtre espagnol, écrit des drames religieux, mais aussi des spectacles courtois ou populaires. Maître de l'allégorie religieuse, dramaturge sévère et profond, l'auteur de La vie est un songe compose des personnages d'une rigoureuse exigence morale qui confèrent à ses œuvres une indéniable grandeur tragique.

Le nouveau théâtre.

En Angleterre, les pièces de Christopher Marlowe (1564-1593) radicalisent le tragique théâtral en mettant en scène un éventail de sentiments qui va de la puissance exaspérée à la poésie la plus sensuelle. La Tragique Histoire du docteur Faust (1588) reprend le thème de l'âme chrétienne déchirée entre les deux pôles opposés du bien et du mal. Mais, loin de représenter une simple mise en garde contre la transgression morale, Faust incarne le symbole humain d'une irrésistible soif de connaissance et de liberté. Dans Tamerlan (1587) comme dans Edouard II (1592), Christopher Marlowe exprime, au travers du thème hautement tragique de la lutte de l'homme seul contre son destin, l'insatiable désir d'expérience et de puissance de son époque.
En France, on retrouve ce thème pathétique de la rencontre d'un héros et de son destin avec l'apparition des tragédies qui succèdent aux formes médiévales du mystère et du drame allégorique. Étienne Jodelle (1532-1573), poète et auteur dramatique, écrit et fait représenter devant le roi, en 1553, la première tragédie classique française à sujet profane, Cléopâtre captive. Mais l'action et l'intrigue, fort réduites — le plus souvent à caractère historique —, des tragédies de cette seconde moitié du XVIe siècle n'enthousiasment guère le public malgré la rhétorique à la fois subtile et lyrique de pièces humanistes telles que César de Jacques Grévin (1538-1570), Saül le furieux de Jean de La Taille (1540-1607). Antoine de Montchrestien (1575-1621), dont théâtre fort noir lui valut une certaine célébrité fit paraître en 1601, David, d'un réalisme biblique, la tragédie politique l'Écossaise (sur Marie Stuart) et Hector, tragédie d'action qui annonce les thèmes cornéliens. Mais c'est surtout avec Antigone, les Juives et Bradamante que Robert Garnier (1544/45-1590), devient le plus éminent poète dramatique de la Renaissance française.

Le génie de William Shakespeare.

William Shakespeare (1564-1616) connaît une grande réussite dans des genres très différents. Il excelle, comme dans la Nuit des rois et dans Comme il vous plaira (vers 1600), dans la comédie romantique à l'ambiance de fête, souvent située dans un décor de fiction. Il s'attelle aussi à la composition d'un cycle de pièces historiques qui couvre l'ensemble de l'histoire d'Angleterre de 1399 à 1485, c'est-à-dire de la destitution de Richard II à la mort de Richard III.
Dans ses tragédies, William Shakespeare se fait l'artisan d'un théâtre total qui mêle le rire à l'émotion, le sublime au grotesque, la poésie à l'ordure. Il fait de son théâtre le miroir de l'univers, vision sombre d'une époque marquée par les catastrophes de tous ordres et par les grands personnages que sont les héros de Hamlet (vers 1600), le Roi Lear (vers 1605) et Macbeth (vers 1606), qui représentent les archétypes de la condition humaine devant les mystères de la vie et de la mort. Après ces grandes tragédies, et alors que la mode théâtrale vire à la tragi-comédie romantique, William Shakespeare commet quelques pièces extraordinairement complexes, notamment la Tempête et le Conte d'hiver (en 1611), qui réinterprètent, dans un cadre romanesque, les conventions de la comédie, de l'histoire et de la tragédie.
Un seul des drames de Shakespeare, les Joyeuses Commères de Windsor (vers 1602) représente des personnages bourgeois dans un décor anglais contemporain. En revanche, toutes les pièces de son ami Ben Jonson (v. 1572-1637) explorent la vie bourgeoise et ouvrière de son temps en prenant pour cible la sottise et les vices de la société anglaise.
Témoin de l'explosion de la nouvelle classe marchande de l'Angleterre sous le règne de Jacques Ier, Ben Jonson trace un portrait satirique de personnages avides d'argent et de pouvoir. Le style de ses pièces dérive de la comédie classique, et leurs thèmes s'inspirent de la vie sociale du Londres du début du siècle. Comédie sur la tromperie qui analyse l'ensemble des comportements de ses contemporains, Volpone (1606) prend pour toile de fond une société vénitienne en proie à la corruption où seuls les plus cruels et les plus malins survivent. Sa Foire de la Saint-Barthélemy (1614) est un autre exemple type de comédie bourgeoise.
Dans les théâtres privés anglais, la tragédie prend une autre tournure. Recourant à des intrigues à sensation et à une violence raffinée, elle dépeint le monde, ou tout au moins la cour, comme désespérément soumis à la compromission. La Tragédie de la vengeance (vers 1605) ou Que les femmes se défient des femmes (1621) de Thomas Middleton (1580- 1627), par exemple, décrivent la cour de Jacques Ier livrée à des intrigues sexuelles cruelles et à des vengeances sanglantes. Dans le Démon blanc (1612) et la Duchesse d'Amalfi (1613-1614), John Webster (vers 1580-1625) élève le mélodrame au niveau de la tragédie.
Lors de la révolution anglaise, les acteurs et la création théâtrale sont identifiés à la société aristocratique. On ne s'étonnera pas, dès lors, de voir la dictature puritaine d'Olivier Cromwell décider la fermeture des théâtres en 1642, marquant ainsi la fin du théâtre de la Renaissance en Angleterre.

L'« invention » du théâtre français.

Au moment où l'Europe apprécie les pièces et les auteurs anglais, le théâtre français émerge de l'anonymat. Contrairement à son voisin, la France ne s'est pas encore dotée de salles de spectacle aménagées en vue de recevoir une troupe et des décors importants. Le seul théâtre de Paris est alors celui de l'hôtel de Bourgogne, qui appartient à l'Association des confrères de la Passion. Ceux-ci détiennent le monopole des représentations théâtrales dans la capitale. À cette absence de salles s'ajoutent la nouveauté pas toujours bien acceptée des premières tragédies du XVIe siècle et la méfiance des autorités à l'égard d'une forme d'art un peu trop libre à leurs yeux.
Le tournant décisif se produit vers 1630 lorsque le cardinal de Richelieu, amateur de théâtre, fait édifier le plus beau théâtre de Paris, dans le cadre du Palais-Cardinal. Son soutien permet à une troupe permanente, les Comédiens du roi — qui fusionneront plus tard avec la troupe de Molière pour former la Comédie-Française —, de s'installer à l'hôtel de Bourgogne, tandis qu'une autre troupe subventionnée prend possession du théâtre du Marais en 1634. Ces deux troupes contribuent grandement à l'explosion du théâtre français, aidées en cela par une floraison de grands comédiens, riches, célèbres et respectés tels Bellerose, Montfleury ou la Champmeslé.
La pastorale dramatique devient à cette époque l'un des genres les plus goûtés du public populaire. C'est un théâtre de divertissement qui met en scène, dans un cadre champêtre, des bergers et des bergères qui s'adonnent à la seule occupation qui vaille : l'amour et ses détours. Alexandre Hardy (v. 1572-1632), premier dramaturge professionnel du siècle, fixe les canons de ce genre ; Honoré d'Urfé (1567-1625), avec sa fable bocagère Sylvanire ou la Morte vive (1625), et surtout Jean Mairet (1604-1686), avec Sylvie (1626) et sa propre Sylvanire (1629) obtiennent de retentissants succès.
Nombre d'auteurs exploitent aussi la veine de la tragi-comédie, genre qui reprend les procédés romanesques — drame, héroïsme, aventures, émotion, violence — sans souci de vraisemblance, mais avec un dénouement heureux. Hardy, Mairet, mais aussi Jean de Schélandre (1585-1635), Jean de Rotrou (1609-1650) et Pierre Corneille (1606-1684) s'y illustrent.
Un retour de la tragédie s'amorce dans les années 1630. Le public plus informé et les mœurs plus raffinées exigent un meilleur théâtre. Ses règles seront celles des «trois unités» qui imposent un nouveau style. Cette exigence à la fois sociale et littéraire est à l'origine de la grande tragédie classique à la française.