Le terme de «classique» est commodément utilisé pour désigner la littérature européenne du XVIIe et du XVIIIe siècle, et plus particulièrement les écrivains français vivant sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. D'une manière générale, l'esprit classique met l'accent sur la suprématie de la raison, d'où son aspect moralisateur. Il se caractérise aussi par une pudeur d'expression, par la concision, l'ordre, la clarté et la recherche de la perfection. Les écrivains classiques retrouvent toutes ces qualités chez les Anciens.
Sans vouloir les imiter servilement, ils cultivent leurs formes avec l'ambition d'être leurs dignes successeurs.
Nul n'incarne mieux le passage de la Renaissance au classicisme et les interrogations de l'homme face à un monde transformé que Michel de Montaigne (1533-1592), gentilhomme bordelais qui rend compte de façon lucide des espoirs et des déceptions de son siècle. Dans les trois livres de ses Essais, publiés entre 1580 et 1595, il réfléchit sur ses lectures et sur sa vie. Il observe le monde en s'observant lui-même, affirmant que l'usage d'un scepticisme discret et d'une sagesse sans illusion, et la maîtrise de ses passions permettent à l'homme de réaliser sa nature profonde.
Les théoriciens et les écrivains du temps, les commentateurs d'Aristote, comme l'Italien Lodovico Castelvetro (1505-1571), s'appuyant sur sa Poétique, entreprennent d'élaborer une doctrine esthétique et d'édicter des règles dont la tragédie devient la traduction privilégiée. Il s'agit d'approcher au plus près de la vérité scénique. Tel est le but de la règle des trois unités. L'unité d'action subordonne la pièce à une intrigue unique et cohérente. L'unité de temps limite la durée de l'action à vingt-quatre heures. L'unité de lieu circonscrit l'action dans un espace unique.
Pierre Corneille (1606-1684) écrit d'abord des comédies avant de se consacrer à la tragédie classique. Le Cid (1637) explore le conflit moral entre la passion et le devoir. Cette tragi-comédie connaît un succès retentissant, mais sa dramaturgie provoque les critiques de la toute jeune Académie française, qui fait office de tribunal de la langue. Cette controverse mène à l'acceptation définitive de la règle des unités et à l'exclusion des intrigues secondaires dans le théâtre classique français produit par la suite. Tout d'abord affecté, Corneille se ressaisit avec trois puissantes tragédies dont l'argument est tiré de l'histoire romaine : Horace (1640), Cinna (1640/41) et Polyeucte (1642), plus respectueuses des règles d'unité, de vraisemblance et de bienséance. Après d'autres chefs-d’œuvre tels Rodogune (1644/45) et Nicomède (1651), sa carrière est peu à peu éclipsée par les œuvres de Jean Racine, jusqu'à sa dernière tragédie, Suréna (1674).
Maître de la forme dramatique, Corneille confronte ses héros à des situations d'exception qui mettent en valeur leur grandeur ou leur gloire, mais aussi leur générosité d'âme. Jamais totalement vaincus par le destin, toujours admirables, de tels héros ne s'avèrent pas, en ce sens, complètement tragiques ni pitoyables.
Jean Racine (1639-1699), son éternel rival, emprunte le sujet de ses pièces à l'histoire et la mythologie grecques et romaines et à la Bible. Ses tragédies sont une suite ininterrompue de chefs-d’œuvre et de triomphes. Andromaque (1667), Britannicus (1669), Bérénice (1670) et Bajazet (1672) explorent les contradictions internes et les ambiguïtés de la condition humaine et restituent à la cérémonie tragique sa dimension de fatalité, telle que les Grecs l'avait imaginée. Mais c'est dans Phèdre (1677) que le thème de la puissance destructrice des passions et la fatalité intérieure atteignent au paroxysme du tragique à l'état pur : une crise éclate, des protagonistes engagés dans une lutte dérisoire se déchirent en champ clos et s'acheminent implacablement vers le désastre final. Les tragédies de Racine soumettent les conventions de forme et de style du classicisme à la recherche d'une profondeur psychologique inégalée jusque-là, à laquelle contribue la perfection d'une langue épurée et d'une dramaturgie simplifiée.
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673), s'inspire des comédies latines de Plaute et de Térence, des farces italiennes et du théâtre espagnol de Lope de Vega et de Calderon, pour imposer la comédie française en tant que genre noble. S'appuyant sur sa troupe de comédiens du Palais-Royal, il compose une vaste gamme de comédies : des farces réjouissantes comme les Précieuses ridicules (1659) ou les Fourberies de Scapin (1671), des grandes comédies comme l'École des femmes (1662), Tartuffe (1664), Dom Juan (1665), le Misanthrope (1666) ou l'Avare (1669), des divertissements de cour comme Amphitryon (1668), des comédies-ballets comme le Bourgeois gentilhomme (1670) ou le Malade imaginaire (1673).
Molière a inventé une série de personnages extrêmement typés dont le rôle est de révéler les vices, les travers et les ridicules de la société qu'ils représentent — la bourgeoisie et la petite noblesse. Le comique de Molière se charge d'une portée satirique qui confère à ses pièces une indéniable fonction sociale. Pour lui, la comédie doit corriger les mœurs. Ce réalisme critique lui vaut de nombreuses inimitiés. Sous le rire moliéresque perce toujours l'amertume.
Le poète satirique Nicolas Boileau (1636-1711) entend lui aussi stigmatiser les travers sociaux, moraux ou esthétiques de son temps en utilisant les ressorts du comique. Son art culmine dans les Satires (1666-1705) et dans le Lutrin (1683). Son Art poétique (1674) énumère les principes esthétiques de la doctrine classique déjà mis en pratique par un Corneille, un Racine, un Molière.
La gloire de Jean de La Fontaine (1621-1695) provient de ses Contes et nouvelles en vers (1665) et surtout de ses Fables, dont trois recueils paraissent de 1668 à 1694. La fable est pour La Fontaine «une ample comédie aux cent actes divers et dont la scène est l'univers ». De cette comédie humaine, il donne une représentation désenchantée, aidé par un art original et varié de la langue et une exceptionnelle virtuosité de la versification. Dépassant ses inspirations grecques, La Fontaine dresse en moraliste un tableau à la fois social et politique de la société française et de l'âme humaine. Il met en scène les hommes et les femmes dans des situations susceptibles de susciter un regard critique, et crée aussi tout un univers composé d'êtres et d'animaux mythiques ou fantastiques censés incarner un type ou un travers humain.
Le théâtre du siècle des Lumières
Si le critique allemand Johann Christoph Gottsched (1700-1766) se fait le défenseur de l'idéal classique, l'écrivain et dramaturge Gotthold Ephraïm Lessing (1729-1781) pourfend les règles contraignantes de la tragédie française. Ses pièces tirées de la vie contemporaine comme Miss Sara Sampson (1755) et Minna von Barnhelm (1767) contribuent à la formation d'une littérature allemande originale.
En France, les comédies de Pierre Marivaux (1688-1763) se caractérisent par leur analyse subtile des sentiments amoureux' constituant « une métaphysique du cœur». Leurs thèmes et leurs ressorts mêlent tout ensemble la tradition et la nouveauté, la fantaisie du théâtre italien et le réalisme social. Soutenus par une réelle élégance de langue, les personnages du Jeu de l'amour et du hasard (1730) et des Fausses Confidences (1737) semblent uniquement préoccupés de leurs relations affectives, mais ils renvoient implacablement l'image de la société hiérarchisée qui détermine leurs relations.
Les idées des philosophes des Lumières influencent la littérature européenne vers la fin du XVIIIe siècle. Ce phénomène se reflète dans deux pièces de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799). Celles-ci donnent naissance à un personnage immortel, Figaro, héritier des valets de comédie. Ces deux chefs-d'œuvre, le Barbier de Séville (1775) et le Mariage de Figaro (1784), fustigent les abus sociaux et politiques à travers les rapports du valet Figaro et de son maître. Beaumarchais reprend à la comédie classique son goût de l'intrigue tout en l'actualisant par la vivacité de son style et le réalisme de ses caractères. Ses deux pièces, qui ont valu à leur auteur gloire et richesse, ont inspiré des opéras tout aussi talentueux aux compositeurs Gioacchino Rossini et Wolfgang Amadeus Mozart.
Le théâtre anglais de la restauration (après 1660) reste célèbre pour ses comédies légères comme celles de William Wycherley (1640-1715). Celles de William Congreve (1670-1729) constituent en outre une critique de la société. Sa comédie sur la tromperie Ainsi va le monde (1700), aux dialogues brillants, soulève le problème des pressions sociales auxquelles est soumis l'amour. Au XVIIIe siècle, Oliver Goldsmith (1730- 1774) et Richard Brinsley Sheridan (1751-1816) prennent la relève.
Les pièces héroïques influencées par les tragédies françaises ne réussissent pas, en revanche, à conquérir l'Angleterre, pas même All for love (1677), adaptation pas le poète et dramaturge John Dryden (1631-1700) de la pièce de William Shakespeare, Antoine et Cléopâtre. Passé maître dans l'art de l'ode, Dryden doit plutôt son succès à sa poésie, notamment à son poème allégorique Absalon et Achitophel (1681), qui constitue la plus mordante satire jamais écrite en anglais, avec l’œuvre en prose très imaginative de Jonathan Swift.
Le successeur naturel de Dryden est Alexander Pope (1688-1744), figure centrale d'une époque souvent comparée au siècle d'Auguste. Dryden avait traduit des extraits des Satires de Juvénal en utilisant le distique héroïque pour ajouter un mordant supérieur. Pope commence par écrire des poèmes pastoraux avant de traduire Homère en anglais. Mais, à l'instar de Dryden, il est plus convaincant dans son rôle d'écrivain satirique. Il écrit la Boucle volée (1712) dans la veine héroï-comique et, avec une élégance cruelle, lance une attaque contre la médiocrité littéraire dans la Dunciade (1728-1742). Dans son Essai sur la critique (1711), il édicte des règles d'écriture dans le style néoclassique, insistant sur le degré élevé de raffinement et sur l'harmonie du style et du sens.