C'est une des œuvres les plus importantes de tout le Moyen Age et celle qui exerça la plus forte influence sur la littérature des siècles suivants. Elle est composée de deux parties qui se font suite, mais ne sont pas de la même époque et ne procèdent pas du même esprit.
La première partie fut écrite par Guillaume de Lorris vers 1200-1238 ; l'auteur était fort jeune, puisqu'il nous dit au commencement de son œuvre que le songe qu'il entreprend de raconter, il le fit « il y a plus de cinq ans, lorsqu'il était dans sa vingtième année ». Guillaume de Lorris écrivit 4.058 vers et le poème resta interrompu à sa mort. L'œuvre connut sous cette forme un immense succès pendant près de 40 ans. Vers 1277, elle fut reprise par Jean Clopinel ou Chopinel, dit Jean de Meun ou de Meung, du lieu de sa naissance, Meung-sur-Loire (né vers 1240, mort vers 1305). Celui-ci l'augmenta d'environ 18.000 vers, près de cinq fois ce qu'avait écrit Guillaume de Lorris (dont l'œuvre cependant paraissait presque terminée). En fait, son propos est tout à fait différent de celui de son prédécesseur et l'œuvre ainsi composée est singulièrement hétérogène. Elle n'en connut pas moins une faveur éclatante et unique dans l'histoire littéraire. C'est que les additions de Jean de Meung avaient redonné de l'actualité au poème et qu'elles représentaient des tendances très vivantes dans la société du temps. Du XIVe au milieu du XVIe siècle, ce fut l'œuvre la plus lue de toute la littérature française. En témoignent les nombreux manuscrits qui en sont parvenus jusqu'à nous. Ayant été, à l'époque, très en avance sur son temps, la partie rédigée par Jean de Meung devait connaître la faveur des premiers humanistes, pas seulement en France, mais à l'étranger : Pétrarque le loua très vivement, le poète anglais Chaucer en traduisit sept mille vers et toute son œuvre se ressent de cette influence. Sa vogue était telle encore un siècle plus tard que Christine de Pisan, en 1399, proteste contre le mal que le Roman dit des femmes et sa violence montre bien qu'il était alors dans toutes les mémoires. Le chancelier de l'Université, Gerson, empruntant d'ailleurs la forme même du Roman de la Rose, crut bon de condamner les hardiesses de Jean de Meung dans sa Vision de Gerson (1402). Le Roman de la Rose connut un regain d'actualité quand Clément Marot le récrivit en français moderne et le publia en 1527. A cette époque, Sibilet le proclamait encore « l'Iliade et l'Enéide de la France ». La Pléiade même, si sévère pour l'œuvre poétique du Moyen Age, estimait fort le Roman de la Rose, au moins dans la version qu'en avait donnée Marot. Ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle qu'on revint au texte original de l'œuvre. Enfin, Ernest Langlois en donna une édition définitive, en 5 volumes, parus de 1914 à 1924 (Société des Anciens Textes Français) ; cette édition est accompagnée d'une introduction et de notes qui constituent une étude exhaustive de l'œuvre.
Nous ne savons à peu près rien du premier rédacteur, Guillaume de Lorris. C'était à coup sûr un homme cultivé, il écrivait pour l'aristocratie de son temps et traitait son sujet avec la méthode et l'esprit des clercs. Ce qu'il voulait offrir, c'était un nouvel Art d'aimer , un code de l'amour courtois ; aussi l'influence de l'œuvre d'Ovide, surtout au travers d'une adaptation où ce poème est mis en action par quatre personnages, le Pamphilus, est-elle fort sensible. L'idée du songe, la personnification de la bien-aimée par une rose n'étaient pas non plus originales : Guillaume de Lorris s'est amplement servi de ses devanciers ; mais il a cependant créé une œuvre très personnelle et si réussie qu'elle est parvenue à faire oublier tous ses précédents.
Voici le songe du poète : un matin de mai, il va se promener dans la campagne ; il se trouve soudain devant le haut mur d'un verger. Ce mur est « portrait dehors et entaillié — A maintes riches escritures» et l'auteur de commencer une longue description des « images » peintes sur ce mur. Ce sont d'affreuses figures : la Haine, la Vilenie, la Convoitise, l'Avarice, l'Envie, la Tristesse, la Vieillesse (prétexte à une évocation assez conventionnelle, mais fort belle, du Temps), puis Papelardise, enfin Pauvreté. Ces images symboliques défendent l'accès du verger de Déduit. La porte en est ouverte au jeune homme par Oyseuse (Oisiveté) qui le conduit à un pré. Là, les oiseaux chantent, une douce musique se fait entendre là se trouvent Déduit (le Plaisir), Liesse, qui chante. Beauté, Richesse, Courtoisie, et encore d'autres personnages allégoriques. C'est l'image d'un joyeux divertissement aristocratique du temps. Tous sont vêtus comme de grands seigneurs, chantent et dansent. Voici paraître le Dieu d'Amour, entouré de sa cour : Douz Regarz, Beautez, Simplece, Franchise, Compaignie, Beaus Semblanz. Tandis que le poète se laisse envoûter par cette atmosphère exquise et par la délicate ordonnance du jardin, son regard tombe en extase devant une rose d'une merveilleuse beauté. Amour lui décoche alors une de ses flèches. Le poète devenu l'Amant, n'a plus dès lors qu'un désir, celui de cueillir la rose. Aussi se met-il au service d'Amour qui lui dicte ses commandements : c'est tout un art d'aimer, en huit cent vers, imité de l'œuvre d'Ovide. L'Amant reste seul devant la rose, quand vient à lui Bel-Accueil, fils de Courtoisie, qui lui permet de s'approcher du buisson de roses. Mais survient Dangier, accompagné de Male-Bouche (la Médisance), de Peur et de Honte, qui le chassent. C'est alors que Raison descend de sa tour, le sermonne et tente de l'arracher à cette passion fatale. Mais l'Amant n'écoute que les conseils de l'Ami qui l'engage à persévérer dans son entreprise. Grâce à l'Ami, le courroux de Dangier, défenseur de la rose, s'apaise ; Franchise et Pitié ramènent Bel-Accueil, lequel autorise l'Amant à s'approcher de la rose et à lui dérober un baiser. Mais Male-Bouche a vu la scène et s'empresse d'avertir Jalousie. Celle-ci fait ceindre d'un mur le parterre de la rose et construire une tour où on enferme Bel-Accueil. L'Amant, tenu à l'écart, se lamente en un long monologue. C'est là que s'arrête le récit.
Ainsi qu'on le voit l'allégorie est quelque peu laborieuse et elle fait long feu. Cette analyse psychologique de l'Amour avec les obstacles qu'il lui faut surmonter, les combats qu'il lui faut soutenir, n'est ni neuve, ni originale. Guillaume de Lorris en arrive, à force de généraliser, à faire une œuvre complètement abstraite. Tout élément individuel est ici éliminé. Choisissant une rose pour personnifier la dame élue, il ne reste plus au poète qu'à projeter sur une multitude de personnages, les réactions de la bien-aimée, réactions qui se détachent d'elle, qui lui deviennent parfaitement extérieures. Il en est, somme toute, de même avec l'Amant ; lui aussi se dédouble en Oyseuse, la conseillère d'amour, l'Ami qui entretient sa flamme, Raison qui tente de le ramener à elle. Ainsi ce n'est plus tant les deux héros qui combattent que deux groupes opposés et le débat interne se trouve par le fait même totalement extériorisé. Le résultat de cette transposition est assez inattendu. Si le héros n'existe presque pas en lui-même, la bien-aimée, elle, est purement fictive. Elle n'agit, ni ne parle, ne manifeste aucun sentiment ; elle n'est pas seulement passive, c'est un objet, toute sa personnalité s'est volatilisée. Ainsi, — et peut-être sans l'avoir voulu, — en poussant à ses ultimes conséquences l'amour courtois, Guillaume de Lorris est parvenu à l'anéantir. Ne compte plus ici que la lutte la femme n'est rien, sinon une proie. Didactique, la première partie du roman l'est constamment ; en effet, il n'est aucun de ces simulacres allégoriques qui ne manque de donner à l'Amant d'utiles leçons, leçons de civilité tout d'abord, voire d'hygiène : « Lave tes mains et tes dents cure », leçons de maintien destinées aux gens qui veulent faire figure dans le monde, subtil apprentissage de la galanterie. Cependant, malgré son propos, Guillaume de Lorris est rarement sec et ennuyeux ; il y a dans ces descriptions un grand charme et certaines des scènes du verger ne sont pas sans évoquer l'art de la tapisserie qui devait fleurir plus tard ; certains de ses portraits témoignent d'un savoir-faire particulièrement subtil, surtout lorsqu'il s'agit d'individualiser de l'extérieur, par l'apparence physique, ses personnages. D'autre part, si l'on ne considère que la forme, la première partie du Roman de la Rose est un des plus purs chefs-d’œuvre du XIIIe siècle ; la langue est fraîche, souple, élégante ; le style est ferme et éloquent.